Ce blog a pour objectif d'évoquer des formes de création qualifiées ou considérées comme extrêmes en Russie. L'idée est non seulement de présenter l'oeuvre des artistes contemporains russes, mais plutôt de dégager les caractéristiques essentielles des rapports entre d'une part les formes artistiques et d'autre part le régime et les forces politiques de la Russie actuelle, ainsi que la réaction sur ses formes et leur rejet par la population. Vous trouverez ici mes réflexions personnelles sur le sujet, mais surtout une collection de textes, de documents et d'articles de différents auteurs qui vous permettront de comprendre mieux l'art contemporain russe dans ses controverses, mais aussi le paysage politique et social de la Russie.

dimanche 23 janvier 2011

Attention : réligion !

Monde 22/07/2009 à 06h53
L’art contemporain en procès à Moscou


Par GALIA ACKERMAN spécialiste de la Russie.

C’est l’heure d’un deuxième procès à Moscou où, à l’instigation des cercles les plus réactionnaires de l’église orthodoxe russe, on juge l’art contemporain. Sur le banc des accusés, l’ancien conservateur de la section d’art contemporain de la galerie Trétiakov, Andreï Erofeïev, et l’ancien directeur du centre et du musée Andreï Sakharov à Moscou, Youri Samodourov. Leur crime ? En mars 2007, ils ont organisé au musée Sakharov une exposition intitulée «Art interdit 2006», composée de 24 œuvres d’artistes russes de la deuxième moitié du XXe siècle de renommée internationale (Ilia Kabakov, Leonid Sokov, Alexandre Kossolapov, Mikhaïl Roguinski et autres). Ces œuvres, d’une grande diversité, créées en partie à l’époque soviétique, partageaient un point commun : en 2005-2006, elles avaient été interdites d’exposition par les directeurs de différentes institutions culturelles russes, en proie à des réflexes d’autocensure. Corps dénudés, obscénités verbales, détournements d’images religieuses à des fins parodiques et humoristiques, bref, tout ce qui aurait pu heurter la sensibilité de l’église orthodoxe russe fut alors retenu contre les artistes.

L’exposition du musée Sakharov avait pour objectif de montrer l’avènement de ce phénomène nouveau d’autocensure qui réduit considérablement l’éventail des possibilités d’expression, thématiques comme esthétiques, de l’art. Destinée surtout à la communauté des historiens d’art, des conservateurs de musées et des directeurs d’institutions culturelles diverses venus à Moscou pour la deuxième biennale d’art contemporain, cette exposition a été vue par 700 visiteurs seulement. Par ailleurs, à l’entrée, on prévenait les visiteurs que certaines œuvres pouvaient présenter un caractère choquant, que les enfants de moins de 16 ans n’étaient pas admis et qu’il était interdit de prendre des photos. Comme si cela ne suffisait pas, le scénographe avait inventé un dispositif original : les œuvres en question étaient abritées derrière des parois en contre-plaqué et ne pouvaient être vues qu’à travers des petits trous placés à une hauteur de 1,80 m. Tout en restreignant la visibilité des œuvres, cette installation permettait de rappeler l’interdiction dont elles avaient été frappées.

Néanmoins, avec le soutien de quelques députés ultranationalistes, plusieurs associations proches de l’église orthodoxe russe, comme l’Assemblée populaire, l’Union des citoyens orthodoxes ou encore l’Union du peuple russe, ont orchestré une vague de protestations à travers tout le pays en incitant des paroissiens à inonder le parquet de courriers réclamant un procès contre les organisateurs de l’exposition.

Dès l’ouverture de l’instruction, Andreï Erofeïev a été limogé de la galerie Tretiakov, tandis que Youri Samodourov s’est vu contraint de quitter de façon «volontaire» le musée Sakharov, comme si leurs directions respectives voulaient sauver les meubles avant la tempête.

Malgré les protestations de plusieurs défenseurs des droits de l’homme russes et d’ONG internationales, dont Amnesty International et Human Rights Watch, l’infâme procès s’est ouvert le 5 mai 2009, à la cour du district Taganski à Moscou. Les deux accusés ont été inculpés en vertu de l’article 282-b du code pénal de la Fédération de Russie : incitation à la haine et atteinte à la dignité humaine sous couvert de situation professionnelle. On se demande bien qui, des deux parties incite le plus à la haine et à l’humiliation, mais qu’importe. Et si Andreï Erofeïev, jugé pour la première fois, ne risque probablement pas l’emprisonnement, en revanche, la situation est plus délicate pour le «récidiviste» Youri Samodourov, déjà condamné en 2005 à une grosse amende pour avoir organisé l’exposition «Attention : religion !» qui explorait le positionnement des artistes face à la bigoterie ambiante.

Il est de notoriété commune que la justice russe n’est pas une Thémis indépendante. Pourquoi un tel procès qui n’aura d’autre conséquence que de ternir l’image de ce grand pays ?

La réponse est à chercher dans les relations d’interdépendance qu’entretiennent l’église orthodoxe russe et le pouvoir politique. Comme il s’agit d’un régime sans légitimité véritable, d’une «corporation» tchékiste qui s’est emparée à la fois du pouvoir politique et des richesses du pays - selon la propre définition de l’ancien conseiller de Vladimir Poutine, Andreï Illarionov, passé dans l’opposition -, cette «corporation» a besoin de la bénédiction de l’Eglise, semblable en cela à la monarchie russe traditionnelle ou à la mafia italienne. Le souci, c’est que l’Eglise devient de plus en plus exigeante en matière d’éducation religieuse et de censure. D’où ce procès…

Mais les institutions culturelles françaises disposent peut-être d’un moyen de pression sur les autorités russes. Il est en effet prévu que l’année 2010 soit placée sous le signe des relations culturelles franco-russes, qui seront mises à l’honneur dès la rentrée 2009. De telles célébrations n’ont pas lieu d’être, alors que deux figures importantes de la vie culturelle russe sont en passe d’être jugées pour des «crimes» absurdes. Il est vital que nos écrivains, artistes, metteurs en scène et réalisateurs fassent entendre leur voix pour défendre la liberté d’expression en Russie et s’opposer ainsi au diktat d’une Eglise politisée

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire